à lire absolument !
Saviez-vous qu’au siècle de la machine à vapeur, on s’inquiétait déjà de la surconsommation d’énergie et des limites à la croissance ? Que la « fée électricité » avait été rejetée par des réfractaires au confort moderne, soucieux de ne pas dépendre de grands systèmes techniques ?
Imaginiez-vous que nos ancêtres fustigeaient les automobilistes « écraseurs » et s’en prenaient à l’accélération des transports ? Que des travailleurs s’opposaient au sacro-saint « développement des forces productives » ? Que des écologistes avant l’heure alertaient sur la destruction de la nature par la civilisation industrielle ? Contrairement au fameux adage selon lequel « on n’arrête pas le progrès », le recours à l’histoire démontre qu’il n’y a pas de fatalité technologique. L’humanité n’est pas vouée à s’adapter, résignée, à l’implacable règne des machines. La course à la puissance a toujours fait face à de profondes remises en cause.
Les textes réunis ici s’appuient sur la mémoire de ces résistances pour nourrir la réflexion actuelle autour de la nécessaire décroissance. Alors que l’expansion indéfinie nous conduit à l’abîme et que l’artificialisation du monde s’intensifie, des bifurcations restent possibles. Et elles sont vitales.
Quand le béton est repeint en vert
L’utilisation massive de béton, entraînée par la construction d’infrastructures et l’expansion des métropoles, ravage le monde : pollutions, surexploitation du sable, destruction des terres… Rassurons-nous : grâce aux opérations de communication des industriels et des politiciens, le béton devient « bas-carbone ». La transition vers la croissance verte est en marche.
Lâcher de robots. Innover pour mieux dominer
Si la classe dirigeante est aussi fascinée par l’innovation technologique, c’est que celle-ci joue un rôle politique : elle n’a cessé de renforcer la domination du capital sur le travail. Les promesses actuelles autour de la robotisation et de l’automatisation croissantes de nos existences s’inscrivent dans ce cadre, reléguant l’humain au rang d’appendice des machines.
Deux extrait de On arrête (parfois) le progrès : histoire et décroissance, de François Jarrige, éditions L’Échappée, novembre 2022.
Retrouver le goût du vrai
Renouer avec le goût du vrai devient impératif si l’on veut casser la mécanique de sociétés structurellement mensongères. Y parvenir, autant pour replacer le vrai sommet de la hiérarchie des valeurs que pour le consacrer comme axe autour duquel organiser la vie sociale, ne se fera sans doute pas aisément. « La vérité est si obscure en ces temps et le mensonge si établi qu’à moins d’aimer la vérité, on ne saurait la connaître », constatait déjà Blaise Pascal à son époque (Pensées, Le livre de Poche, « Classiques », 1670).
S’il y a toujours eu des mensonges dans le discours public, ceux-ci occupent aujourd’hui un nouvel espace, notamment à la faveur des réseaux sociaux. La volonté de contrôler les outils l’emporte de plus en plus sur une réflexion de fond quant à l’effacement des frontières qui séparent le mensonge de la vérité. On tend à organiser la surveillance d’internet au risque de réduire les libertés de tous, alors qu’il faudrait rechercher les racines d’une confusion essentiellement politique et philosophique.
La classe dirigeante n’hésite pas à instrumentaliser la lutte contre les fake news pour se maintenir au pouvoir. Elle cherche ainsi à faire oublier sa responsabilité dans l’installation du mensonge au cœur de la vie publique et dans l’avènement d’un monde où il importe surtout de mieux mentir que l’adversaire. Ce dévoiement de la politique transforme encore plus l’électeur en spectateur et impose des formes de vérités indiscutables, voire une vérité officielle.
Pour reconstituer l’espace public démocratique, il devient impératif de réaffirmer la place de l’humain en tant qu’être pensant capable d’exercer sa faculté de jugement.
Pour aller plus loin : Dernières nouvelles du mensonge, d’Anne-Cécile Robert, Lettres Libres, Lux, 2021.
Anne-Cécile Robert est spécialiste de l’Afrique et des institutions européennes, Elle est journaliste au Monde diplomatique et professeur associé à l’Université Paris 8. Elle a notamment publié avec André Bellon, Un totalitarisme tranquille. La démocratie confisquée (Syllepse, 2001).