Il fait toujours très beau en ce mois d’octobre, dans cette magnifique région de Blois, en Sologne. « Un été indien », nous confirme Isabelle Poirette, la cofondatrice du projet « Les potagers étudiants coopératifs » avec Philippe Desbrosses*. Avec leur association « INTELLIGENCE VERTE », ils ont souhaité aider les étudiants en précarité en mettant à leur disposition un « outil jardin » de production alimentaire afin de leur donner accès à une alimentation de qualité. Un projet qui rassemble, qui crée de la valeur et des liens :
un modèle à essaimer sans modération. Nous devons tous veiller à ce que les générations présentes et futures vivent dans un environnement sain, enviable et durable. La solidarité est un élément essentiel pour créer cet avenir.
Isabelle Poirette dirige le Conservatoire de graines de variétés anciennes situé à Sainte-Marthe et rebaptisé Conservatoire des mille variétés anciennes. Un conservatoire créé par Philippe Desbrosses en 1974 pour sauvegarder et multiplier des graines potagères de variétés anciennes. À l’heure actuelle, le conservatoire sauvegarde et reproduit 1840 variétés.
Comment est venue cette idée de potager pour les étudiants ?
L’idée nous est venue d’un constat de la précarité des étudiants, lorsqu’on les a vus pendant le covid, faire la queue devant les cantines pour aller chercher un repas à 1 euro. On s’est dit : pour ce prix-là, qu’est-ce qu’on doit leur donner à manger ? Nous étions un peu inquiets… Le lendemain, on s’est dit qu’on pourrait les aider en faisant un potager étudiant à Blois. Comme ça, ils allaient déjà prendre l’air, puisque, avec les confinements excessifs, ils étaient souvent enfermés dans une petite chambre d’étudiant, sans possibilité de sortir, en ne faisant plus de sport, en ne s’oxygénant plus. Le potager remplissait les différents manques : se nourrir, faire de l’exercice et recréer du lien social.
On s’est lancés de suite. Puis on a organisé une réunion avec le CROUS, la mission locale qui s’occupe des étudiants en difficulté, le Bureau information jeunesse à Blois (BIJ). Je leur ai expliqué mon projet qui leur a beaucoup plu. Puis ils ont invité une jeune fille de l’École de la nature et du paysage qui avait participé à un collectif d’étudiants et d’habitants de Blois, « les 41 patates ». Ce collectif, à la suite du mouvement des gilets jaunes en 2019, avait voulu agir à son échelle et avait décidé de récolter une tonne de patates. Une façon de fédérer les étudiants et citoyens de tout bord autour d’un projet commun qui questionnait l’alimentation. Nous avons été en contact avec l’association Les Métairies qui leur avait prêté un terrain, que nous avons finalement récupéré, puisque leur action était terminée. Nous avons reçu 3650 m2.
Combien d’étudiants ont participé au début du projet ?
On a commencé avec six étudiants provenant de l’École de la nature et du paysage, de l’école d’ingénieurs, un étudiant en licence de mathématiques et un qui s’occupait de la radio locale de Blois. On a fait toute la saison, et c’était fantastique ! Avec cet énorme terrain et une excellente terre, on a de quoi développer le projet ! Aujourd’hui, on a environ 25 étudiants chaque année.
Votre projet, en plus des écoles, fédère différents collectifs et associations. Un vrai projet solidaire !
En effet, on travaille avec la FIA, qui s’occupe des migrants. On collabore aussi avec une association des mamans des quartiers nord, dans les cités. Elles ont pris en charge notre parcelle « aromatiques et médicinales » qui les intéressait particulièrement. Les récoles sont réparties entre les étudiants, les associations et les bénévoles. Quand on a des surplus de culture, comme en été, quand les étudiants sont en vacances, une partie va aux Restos du cœur de Blois. Quant à l’autre partie, les mamans en font des conserves pour la consommation des étudiants en hiver. Une autre association qui s’occupe de jeunes handicapés mentaux est aussi en train de rejoindre le projet. On est en année 3, et là, ça a pris racine.
Notre point fort, c’est que nous avons un formateur très expérimenté. Il est spécialisé dans la régénération des sols. Il a fait dix ans d’Afrique, donc il connaît les sols les plus ingrats. Et il est un excellent pédagogue. C’est très important. Car il y a eu beaucoup d’initiatives de potagers étudiants dans de nombreuses régions, mais à chaque fois, ce qui a fait échouer les projets, c’est l’absence d’accompagnement. Les étudiants finissaient par abandonner, car c’est un métier, cultiver.
La problématique des variétés anciennes est aussi intégrée dans votre projet. 75 % des graines ont disparu en à peine un siècle (ONU), et ça, c’est un message que vous souhaitez faire passer à vos étudiants…
Oui, bien sûr. On leur explique l’importance d’un sol, comment on maintient un sol vivant, comment on entretient et comment on favorise la fertilité d’un sol. Philippe (Desbrosses) intervient aussi sur le terrain pour faire connaître cet engrais vert extraordinaire que sont les variétés de lupin jaune, blanc, bleu… C’est la plante d’or des terrains sablonneux arides ou infertiles. Nos étudiants apprennent des tas de choses.
On leur donne des graines pour semer toute l’année, et des plans.
J’ai regardé une vidéo de présentation de votre projet, et j’ai vu qu’Edgar Morin était aussi très impliqué dans le potager étudiant…
Oui, oui, il suit ça depuis le début. Notre formateur a d’ailleurs travaillé avec lui au Maroc il y a quelques années. Il a transmis de très bons messages pour nous soutenir.
Qui peut rejoindre ce potager ?
Il a été créé pour être cultivé pour et avec les étudiants et les jeunes, mais il est évident que toute personne adulte qui le souhaite peut y participer. Déjà parce que les étudiants partent en stage pendant un mois, pendant les vacances scolaires – ils rentrent dans leurs familles –, donc toutes les forces vives quel que soit l’âge et quelle que soit la catégorie sont les bienvenues !
Un projet gagnant sur tous les plans, puisqu’il permet d’améliorer un sol, de produire des légumes, de nourrir des étudiants, de faire travailler différentes associations, et en plus d’apprendre aux étudiants à s’alimenter correctement. Ont-ils changé leur mode d’alimentation après ce projet ?
Forcément. Ils commencent à consommer des légumes de saison et frais. Petit à petit, ils commencent à comprendre ce qui est bon ou mauvais pour leur santé et pourquoi… C’est donc un travail en profondeur. Le point fort de cet apprentissage, c’est qu’ils vont le conserver toute leur vie. Quoi qu’il leur arrive, crise économique, familiale, ils savent cultiver, ils sont capables de nourrir leur famille. Ils vont pouvoir à leur tour transmettre leurs connaissances sur une alimentation saine. Ils sont sur une autonomie alimentaire et une alimentation qui va préserver leur santé.
Quel est votre vœu le plus cher pour ce projet ?
Généraliser cette aventure et la faire connaître. Qu’il y ait un potager étudiant sur chaque campus !
* Philippe Desbrosses est l’un des pionniers à l’origine de l’officialisation de l’agriculture bio. Il a présidé la Commission nationale du label AB jusqu’en 2017. En 1974, il a créé dans la ferme familiale, qui vient de fêter ses 100 ans, et ses 50 ans en bio, un conservatoire de semences de variétés anciennes.
Le site officiel
Conservatoire de Sainte-Marthe
www.millevarietesanciennes.org
Mille variétés anciennes organise des formations à destination du grand public : « Faire son potager sur le principe de la permaculture » (en 6 jours) et « Pourquoi et comment reproduire ses propres semences dans son potager » (en 2 jours).