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Grandir et s’épanouir en famille grâce à la communication non violente (CNV)

Pratiquée en famille, lieu de conflits et d'amour par essence, la CNV est un outil très puissant. Avec son mari Pierre, Edith Tavernier a mis en œuvre les postulats de Marshall Rosenberg au quotidien et dans des situations très concrètes (heure du coucher, passage à table, accès aux écrans, choix scolaires, etc.).

Elle montre comment la CNV peut contribuer à un climat d’apaisement, de confiance et de coopération au sein d’une cellule familiale.

Diplômée en sciences politiques et sociales, journaliste puis cheffe de projet dans une collectivité territoriale, formatrice certifiée en CNV depuis 2014, et aussi membre de l’association Déclic CNV & Education1 qui a pour objet la diffusion de la CNV auprès des acteurs éducatifs, parents et professionnels, mais aussi maman de deux enfants de 18 et 21 ans, Agathe et Matthieu, Edith Tavernier vient de rédiger l'ouvrage La Communication Non Violente avec les enfants dans lequel elle partage aussi bien ses connaissances théoriques que sa propre expérience, la remise en question de ses croyances éducatives et la manière dont elle a placé la relation au cœur de l’éducation de ses enfants2.

Dans le paradigme éducatif proposé par Marshall Rosenberg, l’enfant est éduqué dans la conscience des besoins mutuels.

Luc Ruidant - De nombreux ouvrages ont déjà été consacrés à la CNV. En quoi celui-ci est-il neuf ? Quel était votre but en le rédigeant ?

Edith Tavernier - Il y a en effet beaucoup de livres sur la CNV qui présentent le processus mais il n’y en avait aucun sur sa mise en pratique au sein d’une famille.
Le mien, dans sa première partie, ne présente pas le processus de la CNV mais plutôt les fondamentaux philosophiques et spirituels qui sous-tendent sa compréhension.
Quant à la deuxième partie, c’est un témoignage, une histoire à quatre voix avec mon mari Pierre et nos enfants, qui raconte la manière dont nous avons appliqué le paradigme éducatif que propose la CNV dans notre vie de famille, pendant 20 ans. Pour rendre la lecture plus vivante, le partage de ce vécu se fait sur le modèle d’une conversation entre parents et enfants qui témoignent de la manière dont ils ont vécu les choses au quotidien.

L’originalité, c’est que nos enfants, qui ont 17 et 20 ans au moment du livre, donnent leur point de vue, leur retour sur la façon dont ils ont vécu l’éducation qu’on leur a proposée, et ce qu’elle leur a apporté.

Luc Ruidant - Vous dites partager une démarche, pas un modèle, est-ce exact ?

Edith Tavernier - Bien sûr. Notre expérience n’est pas un modèle à suivre, une énième recette de ce qu’il faut faire en matière d’éducation. L’intention n’est pas de donner des techniques, des trucs et des astuces et de dire voilà comment procéder dans telle ou telle situation. On ne se positionne pas en donneur de leçons ou de conseils, bien au contraire ! Comme chaque parent, nous avons traversé des doutes, des questions, des incompréhensions de notre entourage.

Dans mon livre, j’aborde les questions clés que la CNV nous a posés et comment nous y avons répondu dans notre contexte familial. J’ai voulu partager les fruits de notre expérience pour encourager, soutenir les parents qui aspirent à trouver d’autres chemins éducatifs. Je les incite à ne pas se contenter de reproduire ce qu’ils ont appris dans leur éducation ou ce que la société les invite à faire, mais à se demander ce qu’ils ont envie de transmettre à leurs enfants et à faire des choix en lien avec leur intention éducative. Je les invite à s’approprier la démarche que propose la CNV et à l’adapter à leur environnement, leurs personnalités, leurs croyances, et à leurs enfants, qui sont forcément différents des nôtres.

Un excellent écosystème !

Petit témoignage de Matthieu :

« Il y a une métaphore que j’aime beaucoup pour décrire notre système. Agathe et moi sommes des fleurs, maman, c’est la terre qui nous donne les nutriments et récupère les larmes pour nous arroser et nous faire pousser et papa, c’est le tuteur sur lequel on s’accroche, un point d’appui sûr pour grimper le plus haut possible. Ensemble, tous ensemble, nous sommes un jardin de fleurs. Il n’y a pas d’échelons, de hiérarchie. Nous travaillons tous ensemble à la poussée des fleurs, chacun dans son rôle. C’est un excellent écosystème. »

Luc Ruidant - Qu’est-ce qui différencie l’éducation traditionnelle de l’éducation selon la démarche de la CNV ?

Edith Tavernier - Dans le modèle traditionnel, le cadre est posé à partir de principes éducatifs extérieurs auxquels les enfants doivent se soumettre, sont tenus d’obéir sans discuter parce que « c’est comme ça ». Par exemple : « On ne sort pas de table tant que le repas n’est pas terminé ».
A priori, on considère, comme le dit Freud, qu’un enfant est par essence déviant, qu’il n’est pas digne de confiance, qu’il va forcément profiter de la situation, manipuler, tricher ou mentir s’il n’est pas surveillé, contrôlé et puni. L’éducation consiste alors à le corriger pour le remettre sur le droit chemin ou à le récompenser.

Ce modèle, qui justifie l’autoritarisme, est encore très actif et, malheureusement, il a même tendance à revenir sur le devant de la scène médiatique en réaction à certaines déviances d’une éducation positive mal comprise qui fait parfois de l’enfant un roi, centré sur lui-même, capricieux, et incapable de supporter la moindre frustration.

Eduquer positivement un enfant ne signifie pas qu’on écoute ce que l’enfant veut et qu’on cède ensuite à ses caprices, à ses désirs, à ses envies, qu’on le laisse imposer son point de vue à tout le monde. Au contraire, il s’agit d’écouter de manière empathique ce qu’il vit derrière ce qu’il dit et ce qu’il fait, et ensuite d’échanger pour chercher et trouver une solution satisfaisante pour chacun, enfants et parents. Les besoins de chacun doivent être pris en compte !

Luc Ruidant - En quelque sorte, ni enfant roi, ni parent autoritaire !

Edith Tavernier - Exactement. Dans le paradigme éducatif proposé par Marshall Rosenberg, l’enfant est éduqué dans la conscience des besoins mutuels. C’est toi et moi et pas toi ou moi. Ce n’est pas l’un qui prend le pouvoir sur l’autre. Il n’y a pas un gagnant et un perdant dans l’histoire. Nous sommes équivalents en tant qu’être humain et interdépendants.

Avec la CNV, on sort de la dualité et on entre dans une démarche constructive relationnelle où chacun est légitime et est pris en compte. Le cadre s’élabore dans le dialogue. Il est souple, il n’est pas basé sur des principes mais sur des accords ou des règles élaborées à partir des besoins, des aspirations et des limites de chaque membre de la famille.

L’enfant a le droit de vivre ce qu’il vit, d’avoir des émotions, des besoins, de penser ce qu’il pense, de croire ce qu’il croit, d’exercer sa souveraineté en tant que personne libre. Il est associé aux décisions qui le concernent. Mais ça ne veut pas dire qu’il prend le pouvoir.
La CNV considère a priori que l’enfant est digne de confiance et en capacité d’apprendre à trouver ses repères intérieurs et à s’autodiscipliner, si nous l’accompagnons bien sûr, à faire des choix et à être responsable de ses choix, à interagir avec son entourage en tenant compte des autres, à comprendre et expérimenter l’interdépendance. Acquérir cette autodiscipline ne peut pas se faire par les punitions et les récompenses car elles génèrent de la soumission ou de la rébellion. A l’inverse, les échanges aident l’enfant à se sentir compris, aimé et à devenir confiant et responsable.

Luc Ruidant - A notre époque marquée par de multiples crises, le fait de pratiquer la CNV en famille pourrait-il être un des leviers de transformation de la société ? Peut-on même aller jusqu’à dire qu’il y a une dimension spirituelle dans la CNV en famille ?

Edith Tavernier - La CNV répond effective-ment non seulement aux enjeux éducatifs actuels mais aussi aux enjeux politiques actuels. L’idée, c’est de sortir des clivages de ce qui est bien et de ce qui est mal, de réapprendre à être en relation de manière constructive, à vivre et à interagir ensemble, à se comprendre, à se parler, à se respecter, à se faire confiance, à coconstruire des solutions gagnant-gagnant et à arrêter de faire la guerre. La cellule familiale est le creuset de cet apprentissage.

Je suis convaincue que la CNV est profondément spirituelle dans le sens où elle porte une vision positive du monde et de l’être humain.

Si nous cultivons un regard positif sur l’être humain comme nous y invite Marschall Rosenberg, si nous prenons soin des autres, je suis convaincue que nous allons générer autre chose, y compris entre les nations. Ce serait rendre service à l’humanité et cela permettrait de vivre autrement les relations internationales et les conflits.
Je suis convaincue que la CNV est profondément spirituelle dans le sens où elle porte une vision positive du monde et de l’être humain. Fondamentalement, nous avons besoin d’être utile aux autres, nous avons envie de contribuer à construire un monde de paix et de solidarité, dans lequel chacun peut s’épanouir…

1. www.declic-cnveducation.org/
2. Edith Tavernier, « La communication non violente avec les enfants. La CNV en famille et au quotidien : retour d'expérience », éditions Mardaga, 12 avril 2023, 160 pages.

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